Bavardage face au fleuve Thème: Face au fleuve - Bonjour, puis-je me permettre de vous demander ce que vous peignez exactement?
- Bien sûr! Je peins l’eau.
- L’eau? Loin de moi l’idée de vous considérer comme un badigeonneur, mais je ne reconnais pas du tout l’eau que je vois.
- C’est tout à fait normal, je ne peins pas l’eau de là, je peins une eau d’ailleurs. En fait je peins l’eau de là-bas.
- Mais pourquoi l’eau de là-bas?
- Vous n’avez pas remarqué que dans l’eau de là il y a un cadavre?
- En effet je l’avais vu, mais je croyais que c’était la dépouille d’un maquereau.
- Peut-être en est-il ainsi. L’inspecteur Dubreuil qui enquête là-dessus pourra sans doute nous le confirmer plus tard.
- Ah bon ! Mais ce modèle macabre que la fatalité vous offre, ne vous anime-t-elle pas d’une inspiration artistique?
- Certainement, son expiration m’inspire, mais voyez-vous je suis encore novice comme peintre, et la composition des couleurs me traumatise déjà, imaginez ce que la décomposition me ferait comme complication dans l’évolution de ma formation artistique.
- En effet, vous pourriez frapper un os dans votre apprentissage.
- Exactement, vous avez mis le doigt dessus quoique l’image soit un peu sinistre.
- Mais peut-être pourriez-vous devenir peintre légiste pour la justice.
- J’y ai pensé bien sûr. Mais comme la justice est aveugle…
- Je vois! Cependant, si vous ne peigniez que dans le cas de meurtre, peut-être pourriez-vous capter la scène du crime de façon ésotérique.
-
Je ne
suis pas convaincu de votre suggestion, les sciences occultes ne m’ont jamais attirée,
je ne vois donc pas comment je pourrais réaliser ésotériquement une toile qui
puisse devenir pièce à conviction. - Le barbouillage automatique.
- Étrange que vous me disiez ça, mon maître m’a justement dit que je peignais de façon trop technique, Il m’a même traité d’automate de la peinture.
- Vous voyez bien, Je crois que vous seriez confortable dans cette forme d’expression.
- Surtout pas, le risque est trop grand.
- Quel risque?
- Le risque de ne pas prendre de risque justement. N’avez-vous jamais entendu les artistes alléguer qu’ils tentent de s’extraire de leur zone de confort, afin de s’exposer à l’incertitude, espérant ainsi faire ressortir une nouvelle intuition créative.
- Bien sûr cet argument a tellement été colporter, qu’il correspond de plus en plus à un cliché, ce qui rendrait ce projet négatif.
- Voilà, vous avez très bien saisi le tableau.
- Et si vous vous serviez plutôt de la toile?
- La toile? Mais je ne fais que ça des toiles.
- Non, je vous parle de la toile électronique, les réseaux sociaux.
- Qu’est-ce que les réseaux sociaux viennent faire là-dedans? Je ne vous suis plus du tout.
- C’est simple, supposons que vous vous offriez pour peindre des crimes sur le vif…
- Mais c’est ridicule!
- Pas du tout. De nos jours, tout le monde rêve de son heure de gloire sur internet. Ainsi vous pourriez leurs permettre d’exhiber glorieusement leurs exécutions à toute la planète. De plus, cela vous permettrait de courir un grand risque, en vous exposant aux funestes réactions de ces mégalomanes détraqués, qui dans un hypothétique moment de lucidité, pourraient réaliser que les conséquences judiciaires auquel ils s’exposent n’ont rien de virtuel.
- Ce n’est pas fou ce que vous dites. En tant qu’artiste, mon ego convoite le prestige, et vos propos interpellent fortement ma volonté de réaliser ce fantasme, fantasme qui ne demande qu’à atteindre l’apothéose.
- Donc l’idée vous séduit.
- Parfaitement! Vous avez réveillé en mon for intérieur une grandiose ambition.
-
Vous
adhérez donc à l’idée de mettre sur les toiles, l’illustration des prétentions
de ces siphonnés sociaux.
- Oui, et même plus. Peindre l’autoportrait posthume de mon assassinat, Merci, vous êtes le catalyseur de mes réelles ambitions, malheureusement occultées par les apparences virtuelles que la société nous impose.
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